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3 nov. 2014

Quelque part aux confins du monde


Il commençait à faire plus froid dans les montagnes où Pierre était retenu. La vieille avait trouvé de vieux vêtements pour lui, de même que des bottes de feutre usagées. Cela puait la chèvre ou le bouc !
À présent, le jeune Français vivait dans une sorte de routine. Une fois venue l’arrière-saison, le travail avait changé de nature. On le conduisait désormais chaque matin vers une bâtisse – en contrebas – dans laquelle il devait assurer la manutention de colis dont il devinait le contenu. De retour en fin de journée – la nuit désormais tombée – Goariné s’attardait plus volontiers dans la bergerie, s’essayant à dialoguer comme elle le pouvait, c’est à dire à force gestes et mimiques. C’est ainsi qu’il entreprit de décrypter le russe avec elle. En outre, il écoutait les conversations, tantôt de ses gardiens, tantôt des autres prisonniers. Cela lui permettait de repérer des mots qui revenaient souvent, puis d’en rechercher la signification. Certains l’intriguaient, notamment chut-chut ou patamouchta. Le premier, finalement, signifiait « un petit peu », l’autre « parce que ».
— Kak tiebia zavout ? lui avait demandé la vieille un soir en le désignant du doigt. Mia zavout Goariné, avait-elle continué tout en se montrant de même.
— Mia zavout Pierre, avait-il fini par répondre en prononçant ces mots d’une voix hésitante.
— Piotr ! avait-elle ajouté tout en hochant la tête affirmativement, puis esquissant l’amorce d’un sourire.
— Da ! lui avait-il accordé, la voix plus ferme.
Peu à peu, son vocabulaire allait s’enrichissant. Ses capacités de mémorisation favorisaient largement sa progression. Ne pouvant écrire, il se faisait mentalement des listes et se les répétait inlassablement, commençant à saisir un peu du mécano des déclinaisons d’après le changement des terminaisons. Cela se rapportait à la forme des phrases. Au bout de quelques semaines, il parvint à formuler de petites phrases utiles et s’essaya sans complexe à les pratiquer. Son expression, son accent, bien sûr, entraînaient des regards étonnés. Cela bien sûr devait sembler très bizarre, à considérer ses compagnons d’infortune !
Il apprit l’alphabet grâce à son bâton. Goariné lui avait montré plusieurs fois le dessin des lettres cyrilliques et le son que représentait chacune. En rabâchant ce qu’il avait retenu, tout cela parvint à s’imprimer dans sa cervelle. Assez rapidement, ces leçons devinrent un jeu pour lui. De nouveaux mots s’ajoutèrent à sa liste au hasard des conversations. C’est ainsi qu’un jour……

Extrait fraîchement rédigé de « La Mer Noire était si bleue ! », début du chapitre 9.
« La Mer Noire était si bleue ! » forme le dernier opus de la « Trilogie russe » dont le premier volet vient d’être publié dans la collection « Signe de Piste » aux éditions Delahaye. Il est en cours de rédaction. Le second de ces romans qui est d’ores et déjà achevé s’intitule « Les survivants de Sébastopol ».
La « trilogie russe » évoque cent ans d’Histoire de la Russie dont les soubresauts les plus terribles ont été traversés par des jeunes et des adolescents qui s’y sont trouvés happés. Chaque histoire est indépendante des autres, cependant, un fil rouge relie les trois romans.
- La Mer Noire était si bleue !